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Les Araméens, un peuple, une langue, une écriture, au-delà des empires

 



par André Lemaire

Directeur d'études à l\'Ecole pratique des hautes études

 

La civilisation araméenne a une longue histoire puisque les premières attestations des Araméens remontent au début du XIe siècle avant notre ère et que, dans un état de langue très évolué, l\'araméen est encore parlé dans quelques villages de la région de Mossoul, dans le nord de l\'Irak, et de l\'Antiliban syrien, près de la frontière avec le Liban.

La protohistoire araméenne

Comme souvent, les origines des Araméens se perdent dans les brumes de l\'histoire. Les premières attestations claires de l\'ethnique « Araméen » se trouvent dans les inscriptions du roi assyrien Tiglat-Phalazar Ier (1114-1076 av. n. è.) qui évoquent ses nombreux combats contre les « Araméens-Ahlamu » le long du Moyen-Euphrate en Syrie du Nord aujourd\'hui. Plus précisément le roi assyrien se vante d\'avoir franchi vingt-huit fois l\'Euphrate, deux fois par an, pour défaire ces Araméens-Ahlamu qui habitaient apparemment dans un territoire correspondant à peu près à la Syrie actuelle.

D\'après quelques indications de textes antérieurs, en particulier du XIIIe siècle av. n. è., certains groupes d\'Ahlamu proto-araméens étaient des tribus semi-nomades aux frontières des royaumes mésopotamiens : l\'Assyrie au nord et la Babylonie au sud.
C\'est dire que les textes assyriens les considéraient comme des populations constituant une menace pour la stabilité de leur royaume. La tradition biblique des Benê-Jacob, apparemment originaires de l\'Aram-Naharayim ou « Aram des deux fleuves », dans la boucle de l\'Euphrate, autour des villes de Harrân et Nahur, semble confirmer que, vers le XIIIe siècle av. n. è., cette région était peuplée de pasteurs proto-araméens. D\'une manière générale, les Israélites conservèrent la mémoire qu\'une partie de leurs ancêtres étaient des Araméens en disant : « Mon père était un Araméen errant » (Deutéronome 26,5). Cependant, bien qu\'une partie de la population araméenne ait été constituée de semi-nomades faisant paître leurs troupeaux de petit bétail à la lisière des zones cultivées, une autre partie habitait dans des villes fortifiées contrôlant le territoire environnant et rassemblées en divers royaumes.

Si l\'on tient compte de la confusion graphique postérieure des noms de pays « Aram » et « Édom », la tradition biblique de Genèse 36, 31-39 pourrait nous rapporter une liste de rois araméens de cette époque ayant exercé leur pouvoir dans le nord de la Transjordanie.

L\'expansion araméenne des XI-Xe siècles

Après avoir bien résisté à la pression araméenne sous Tiglat-Phalazar III et Assûr-bel-kala (1073-1056), l\'Assyrie semble avoir été sur la défensive pendant plus d\'un siècle, de 1050 à 935, car les Araméens fondent alors des villes sur l\'Euphrate, au nord de Karkémish, à l\'époque du roi assyrien Assur-rabi II (1012-972). Cette expansion araméenne nous est confirmée par quelques informations sporadiques de la tradition biblique sur la frontière méridionale du territoire araméen. En effet, au début du règne de David, vers l\'an 1000, le roi de Beth-Rehov (Beqa' libanaise) et d\'Aram-Zoba (un peu plus au nord), Hadadézer, semble à la tête d\'une coalition de royaumes araméens, - en particulier du Levant-Sud : Tov, Geshour et Maakah - et conduit ses armées vers le nord jusque sur l\'Euphrate (2 Samuel 8,3). Cherchant à soutenir le roi ammonite, Hanoun, l\'armée araméenne d\'Hadadézer sera finalement battue par celle de David (2 Samuel 8 et 10) et le territoire araméen s\'étendant jusqu\'à Damas inclusivement contrôlé, un moment, par le roi de Jérusalem.

À la mort de David, Hadad, un prince araméen de la famille d\'Hadadézer qui s\'était réfugié un moment en Égypte, revient dans la région de Damas dont il finit par s\'emparer, fondant le royaume de Damas (1 Rois 11,14-24) qui, pendant deux siècles et demi, sera le principal royaume araméen du Levant-Sud, annexant au moins partiellement les royaumes araméens de Maakah, Tov et Geshour dans le nord de la Transjordanie. Cet important royaume araméen sera souvent le principal adversaire d\'Israël, au sud, et de l\'Assyrie, au nord.
Un de ses successeurs, Ben/Bar-Hadad fils de Tabrimmon/Tabramman s\'emparera d\'ailleurs bientôt de la haute vallée du Jourdain et de la région de Kinneret (1 Rois 15,20), contre le roi d\'Israël, Baasha (env. 909-886).

Les royaumes araméens face à l\'Empire néo-assyrien (de la fin du Xe à la fin du VIIIe siècle)

Au nord du territoire araméen, l\'Assyrie se réveille sous le roi Assur-Dan II (934-912) ; dans son rêve de domination universelle, après de nombreuses campagnes militaires où elle connaît succès et revers, elle finira par éliminer tous les royaumes araméens et absorber toute la population araméenne à l\'intérieur de son empire.

De par leur situation géographique, les premiers royaumes araméens à être ainsi absorbés dans l\'Empire néo-assyrien furent ceux qui étaient situés au nord-est, dans la région de l\'Euphrate : Hindanu, Laqê, Suhu, sur le Moyen-Euphrate et Naïri, Bit-Zamani, Bit-Bahiani (Gouzan), Azallu, Bit-Adini, dans la boucle de l\'Euphrate.
Cette région expérimentera ensuite une symbiose politique et culturelle assyro-araméenne où se côtoieront les inscriptions cunéiformes et les inscriptions alphabétiques araméennes.

L\'exemple le plus évident de cette symbiose assyro-araméenne est celui de la statue de Tell Fekheriyeh, aux sources du Habour : vers la fin du IXe siècle, le roi de Gouzan, Hadadyis'î fils de Shamash-nouri, se fait représenter par une statue comportant une double inscription : assyrienne, de face, et araméenne, de dos. Bien plus, dans l\'inscription araméenne, il se proclame « roi de Gouzan », tandis que, dans l\'inscription néo-assyrienne, il est simplement « gouverneur de Gouzan ». Le même dynaste pouvait donc être considéré comme un « roi » par la population araméenne locale et comme un « gouverneur » par le suzerain néo-assyrien.

À la suite de cette expansion néo-assyrienne jusqu\'à l\'Euphrate, ce fleuve va être considéré pendant plus d\'un siècle comme la frontière naturelle de l\'Empire néo-assyrien.

La réaction à la pression assyrienne des royaumes araméens du sud-ouest, d\'au-delà de l\'Euphrate, va varier d\'un royaume à l\'autre et va s\'organiser de mieux en mieux. Déjà, au début de son règne, le roi néo-assyrien Salmanazar III (858-824) avait mis trois ans à intégrer le royaume araméen du Bit-Adini qui s\'étendait sur les bords de l\'Euphrate, au sud de Karkémish, et à soumettre au tribut les royaumes à la fois araméens et néo-hittites/louvites à la frontière actuelle de la Turquie et de la Syrie du Nord : Karkémish, Kummuh, Mélid, Samal, Gurgum, Patina (basse vallée de l\'Oronte) et Alep. Les inscriptions monumentales louvites, spécialement celles de Karkémish, ou araméennes, spécialement celles de Zencirli - site de la capitale du royaume de Samal à l\'est de l\'Amanus - nous montrent que les Assyriens furent parfois assez bien accueillis car ils aidaient à secouer le joug de puissants voisins tandis que le tribut à verser à l\'Empire assyrien paraissait proportionnellement assez léger. De fait, pendant un certain temps, les Assyriens se contenteront d\'un tribut annuel, laissant le roi local en place, jouant éventuellement des rivalités internes, voire des guerres civiles, pour imposer des princes assyrophiles, acceptant volontiers de jouer le rôle de vassaux.

En 853, Salmanazar III va essayer de soumettre aussi les royaumes de la Syrie centrale, en particulier le royaume araméo-louvite de Hamat, mais son roi, Irhuleni, fait alors appel au soutien des autres rois du Levant, en particulier du roi de Damas, Adadidri, et du roi d\'Israël, Akhab. L\'armée des coalisés, comportant plus de chars que l\'armée des envahisseurs, réussit à stopper l\'avance de l\'armée assyrienne qui, pendant une douzaine d\'années, se brisera contre ce front uni. C\'est seulement lorsque, en Israël, le coup d\'état de Jéhu brisera l\'unité de la coalition des « rois de la côte » que Salmanazar III remportera provisoirement un certain succès, pillant une partie du royaume de Damas et acceptant la soumission de Jéhu, soumission représentée sur l\'« obélisque noir » conservé au British Museum. Cependant, malgré une ultime tentative en 838, l\'armée assyrienne ne peut pénétrer dans Damas où le roi Hazaël lui oppose une farouche résistance. Des troubles intérieurs dans l\'Empire néo-assyrien achèveront d\'éloigner, pour quelques années, le danger assyrien.

Les royaumes araméens profiteront de ce répit pour renforcer leur unité. En fait, le roi Hazaël de Damas, ayant opposé une résistance victorieuse à Salmanazar III, va peu à peu étendre son pouvoir sur tout le Levant et se retrouver à la tête de quelque trente-deux rois vassaux. Vers 810, l\'armée de l\'empire araméen de Hazaël va même traverser l\'Euphrate, portant le fer à l\'intérieur de ce qui était considéré comme territoire assyrien depuis une cinquantaine d\'années. C\'est de cette époque qu\'il faut dater les premières inscriptions monumentales araméennes, en particulier les fragments de la stèle de Tel Dan, aux sources du Jourdain, contemporaine des petites inscriptions sur ivoire ou sur bronze mentionnant Hazaël.

En l\'absence de fouilles archéologiques du site antique de Damas, ces inscriptions araméennes, ainsi que diverses indications historiographiques des livres bibliques des Rois soulignent la grandeur de ce « roi d\'Aram » dominant non seulement tous les royaumes araméens mais aussi ceux de Phénicie, de Palestine et de Transjordanie. Son règne semble aussi manifester un important développement économique avec des comptoirs araméens à Samarie (1 Rois 20,34) et culturel avec la diffusion de l\'écriture alphabétique. C\'est peut-être de cette époque que date la rédaction du livre araméen de « Balaam fils de Beor, l\'homme qui voyait les dieux », connu par la Bible (Nombres 22-24), et dont on a retrouvé des extraits copiés sur la paroi d\'un mur chaulé à Deir 'Alla dans la moyenne vallée du Jourdain.

Chaque royaume araméen gardait son organisation politique et ses propres traditions culturelles. Le royaume lui-même était souvent désigné comme le beyt, à la fois maison et dynastie, du premier roi de la lignée. On parlait ainsi de beyt Hazaël, beyt Goush. Chaque royaume avait aussi ses propres traditions religieuses. Cependant, à la tête du panthéon araméen, on reconnaissait généralement le grand dieu de l\'orage : Hadad, parfois appelé « maître des cieux » ou ba'al shamayin, comme dans l\'inscription de Zakkour, roi de Hamat, ou rattaché à un grand sanctuaire tel « Hadad d\'Alep ». On retrouvait aussi d\'autres dieux liés aux astres, en particulier Shamash, le « soleil », Sahar, la « lune » et les « pléiades » ou sibitti. On retrouvait enfin des dieux protecteurs de la dynastie tels Rakkibel dans le royaume de Samal ou Iluwer dans celui de Hamat, à côté de diverses divinités traditionnelles : El, Élyôn, Rashap.

Les fouilles archéologiques de quelques sites araméens comme Zencirli, capitale du royaume de Samal, ont mis au jour plusieurs palais, temples et murailles de ville renforcées par des fossés. Une partie de cette tradition architecturale est assez révélatrice d\'une symbiose entre la tradition araméenne et la tradition néo-hittite/louvite qui se manifeste en particulier dans l\'importance des stèles et des bas-reliefs, le plus souvent en basalte. Les fouilles archéologiques ont mis aussi au jour des ivoires travaillés ainsi qu\'une tradition iconographique originale, manifestée en particulier dans l\'iconographie des sceaux inscrits ou non.

L\'expansion araméenne de la deuxième moitié du IXe siècle fut de courte durée. Dès son accession au pouvoir vers 805-803, le fils de Hazaël, Bar-Hadad, va se heurter à la révolte du roi d\'Israël, Joas (805-803-790), puis à celle de Zakkour, roi de Hamat, dont l\'inscription royale est conservée au Louvre. À l\'époque du roi néo-assyrien Adad-nârâri III (810-783) et de ses successeurs dans la première moitié du VIIIe siècle, c\'est, en fait, le turtanu, c\'est-à-dire le général en chef, deuxième personnage de l\'Empire assyrien, Shamshi-ilu, peut-être rattaché à une famille royale araméenne, qui va décider de la politique assyrienne vis-à-vis de l\'ouest de l\'empire, jouant le rôle d\'une sorte de vice-roi pour les relations avec les royaumes araméens. Il entreprit plusieurs campagnes militaires, pénétra dans Damas en 773 et en rapporta un riche butin. Il joua aussi un rôle d\'arbitre dans la fixation des frontières entre les divers royaumes de la région qui devaient s\'engager vis-à-vis de l\'Assyrie par des traités d\'alliance ou de vassalité comme nous le révèlent les plus longues inscriptions araméennes anciennes, les fameuses stèles de Sfiré représentant l\'engagement de Mati'él, roi d\'Arpad, capitale de beyt Goush, dans le nord de la Syrie.

Avec l\'arrivée au pouvoir du roi assyrien Tiglat-Phalazar III (744-727), la politique néo-assyrienne va devenir systématiquement impérialiste, cherchant à intégrer, éventuellement en plusieurs étapes, tous les territoires des royaumes araméens.
En 740, après plusieurs campagnes militaires, le royaume d\'Arpad est transformé en provinces assyriennes. En 732, c\'est le tour du royaume de Damas et des trois quarts du royaume d\'Israël, le dernier quart étant intégré en 722. En 720, c\'est le tour du royaume de Hamat, puis, dans les années qui suivent, celui de Samal. À la fin du VIIIe siècle, il n\'y a plus aucun royaume araméen et leurs territoires ont été transformés en provinces de l\'Empire néo-assyrien.

L\'Empire assyro-araméen

La disparition des royaumes araméens ne marquait pas la fin de l\'existence politique, économique et culturelle des populations de tous ces royaumes. Même si, en cas de révolte, une partie de la population pouvait être déportée dans une autre région de l\'empire, la majeure partie des Araméens survécut ! En fait, en intégrant dans leur empire une aussi nombreuse population araméenne, les rois assyriens le transformèrent en un Empire assyro-araméen. Comme nous l\'avons noté plus haut, ce phénomène a commencé dès le IXe siècle pour la Mésopotamie du Nord et l\'intégration des royaumes araméens du Levant à partir de Tiglat-Phalazar III n\'a fait que l\'accélérer. On voit apparaître des Araméens à tous les niveaux de l\'administration ainsi que dans l\'armée qui avait d\'ailleurs parfois intégré des régiments entiers des armées vaincues.

Comme nous le montrent un certain nombre de bas-reliefs représentant l\'enregistrement du butin, les scribes akkadiens côtoyaient souvent les « scribes araméens », mentionnés plusieurs fois explicitement comme tels dans les textes. Même si l\'akkadien cunéiforme reste l\'écriture des inscriptions royales monumentales, l\'araméen est assez souvent utilisé à tous les niveaux de l\'administration, d\'autant plus que l\'écriture alphabétique est plus facile à apprendre. On l\'utilisait généralement pour écrire sur des feuilles ou des rouleaux de cuir qui ont malheureusement disparu à cause du climat relativement humide. Cependant, surtout à partir de la fin du VIIIe siècle, les scribes se mettent aussi à écrire en araméen sur des tablettes d\'argile un certain nombre d\'actes juridiques de la vie quotidienne : contrats de prêt d\'orge ou d\'argent, achat de terrains, ventes d\'esclaves, mise en gage. Les fouilles récentes de Tell Sheikh Hamad, ancienne Dur-Katlimmu, sur le Habour, principal affluent du Moyen-Euphrate, ont mis au jour des tablettes cunéiformes et des tablettes araméennes provenant des mêmes niveaux (VIIe siècle), actuellement en cours de publication.

En fait, cette intégration dans l\'empire va conduire à un développement géographique de l\'usage de l\'araméen. Désormais l\'araméen pourra être employé dans tout l\'Empire néo-assyrien. Il va même se retrouver dans des inscriptions royales situées au nord-est de l\'Assyrie, dans le royaume mannéen (inscription dite de Bukân), en Cilicie (petites inscriptions de Tarse) et jusqu\'en Égypte, contrôlée un moment par Assurbanipal (668-627). L\'araméen devient la langue de communication de la plus grande partie du Proche-Orient, celle que tout diplomate doit absolument connaître, comme nous le révèle le dialogue des ministres judéens d\'Ézéchias avec le rab-shaqeh assyrien de Sennachérib sous les murs de Jérusalem en 701 (2 Rois 18,26).

Cependant, du point de vue linguistique, cet araméen d\'empire va surtout être celui de Mésopotamie qui, dès le IXe siècle avait été en symbiose avec la culture et la langue néo-assyriennes. Il comportera un certain nombre de mots d\'emprunts et, pour les actes juridiques, des formules souvent similaires aux formules néo-assyriennes. Bien plus, l\'un des livres qui servira à la formation des scribes araméens à la fin de l\'Empire assyrien sera le roman d\'Ahiqar qui raconte, en araméen de Mésopotamie, les déboires et les aventures d\'un haut fonctionnaire à la cour de Sennachérib et d\'Assarhaddon.

Le caractère araméen de l\'Empire assyrien devient de plus en plus clair au cours du VIIe siècle. Aussi n\'est-on pas étonné que, après la chute de Ninive en 612, la résistance des derniers rois néo-assyriens s\'organise autour de Harrân, c\'est-à-dire au cour d\'une région araméenne, qui ne tombera sous les coups de l\'armée néo-babylonienne qu\'en 610-609.

L\'araméen dans l\'Empire néo-babylonien

Pendant une soixantaine d\'années, l\'Empire néo-babylonien prend la relève de l\'Empire néo-assyrien. Toutes les inscriptions officielles des rois sont naturellement en néo-babylonien cunéiforme ; cependant l\'usage de l\'araméen ne cesse de se développer comme le montre, en particulier, l\'habitude d\'étiqueter, sur la tranche, les tablettes néo-babyloniennes avec une courte inscription araméenne que le scribe pouvait lire plus facilement. Du fait des nombreuses déportations de populations de l\'Ouest dans la région de Babylone, la langue habituelle de communication de toutes ces différentes populations devient l\'araméen que l\'on devait souvent entendre dans les rues de Babylone et des principales cités de la région.

L\'influence de la culture araméenne devient encore plus évidente sous le règne du dernier roi néo-babylonien, Nabonide (556-539) ; probablement en partie d\'origine araméenne, il voua un culte particulier au dieu lunaire de Harrân dont il restaura le grand temple. Sin de Harrân rivalise alors avec Mardouk, le grand dieu de Babylone, et pendant son séjour de dix ans en Arabie, dans l\'oasis de Teima, Nabonide y introduira l\'emploi de l\'écriture araméenne qui pouvait donc être utilisée dans tout son empire.

L\'araméen dans l\'Empire perse (539-331)

L\'entrée de Cyrus à Babylone en 539 marque l\'intégration du territoire de l\'Empire néo-babylonien dans le plus vaste empire territorial que l\'Antiquité proche-orientale ait connu. Sous Darius (522-486), cet immense empire s\'étendra de la Thrace à l\'Indus et du sud de l\'Égypte (Éléphantine/Assouan) à l\'Asie centrale (Bactriane). L\'ancien pays araméen se retrouve surtout dans les provinces de Transeuphratène (Abar-Naharâ) et de Babylonie. Il n\'y a plus d\'entité politique araméenne mais la langue et la culture araméennes se répandent partout : l\'écriture araméenne est utilisée comme langue de communication usuelle et administrative dans tout l\'Empire achéménide.

La diffusion de l\'écriture araméenne est bien attestée par l\'épigraphie : on rencontre des inscriptions araméennes depuis l\'Anatolie jusqu\'aux bords de l\'Indus et des parchemins araméens depuis l\'Égypte jusqu\'en Ouzbékistan. L\'araméen est aussi utilisé par les royaumes vassaux ou alliés, tels le royaume arabe de Qédar. Le bon fonctionnement de l\'administration et la perception des impôts qui faisaient une des forces de cet immense empire ont été grandement facilités par l\'utilisation de cette écriture alphabétique facile à apprendre et à utiliser. Les nombreux échanges entre les diverses parties de l\'empire ont entraîné un certain développement homogène de l\'écriture tandis que la langue évoluait en intégrant un certain nombre de termes perses, en particulier de termes administratifs qui deviennent plus nombreux au IVe siècle.

Cette diffusion incontestable de l\'araméen en tant que langue écrite ne signifie pas du tout que toutes les populations de cet immense empire parlaient cette langue. Il faut bien distinguer langue parlée et langue écrite. D\'ailleurs l\'administration pouvait aussi utiliser, concurremment, les langues et écritures locales. Tout en étant écrit dans tout l\'empire, l\'araméen ne devait probablement être la langue vernaculaire que des régions primitivement araméennes ou, plus généralement, sémitiques : Mésopotamie et Transeuphratène.

L\'araméen à l\'époque hellénistique

La conquête de l\'Empire perse par Alexandre le Grand (333-331) n\'a pas bouleversé immédiatement toute l\'organisation de l\'Empire achéménide. Suivant la formule de Pierre Briant, Alexandre a été, en quelque sorte, « le dernier des Achéménides » puisqu\'il a maintenu l\'unité de cet immense empire. De fait, les ostraca araméens d\'Idumée, dans le sud de la Palestine, ainsi que les manuscrits sur parchemin d\'Ouzbékistan en cours de publication, révèlent que l\'administration a continué à utiliser non seulement l\'écriture araméenne mais exactement le même système et les mêmes formules, se contentant de dater des années d\'Alexandre au lieu des années de Darius III.

Le véritable changement culturel ne va se faire que peu à peu, sous les successeurs d\'Alexandre, spécialement lorsque les Diadoques se partageront l\'empire. Le grec va alors rapidement progresser comme langue administrative, spécialement dans les régions non-araméophones. Même dans ces dernières, il va s\'affirmer comme la langue du commerce international et des relations politiques. C\'est ainsi que l\'utilisation de l\'araméen va assez rapidement disparaître d\'Anatolie et d\'Égypte, tandis qu\'il se maintiendra en Syrie-Palestine, où on voit apparaître des inscriptions bilingues gréco-araméennes, et en Mésopotamie, ainsi que parmi les populations nord-arabes, en tant que langue écrite.

Cependant le démembrement de l\'empire et la multiplication des royautés à la fin de l\'époque hellénistique vont conduire à une différenciation de l\'écriture araméenne selon les royaumes et les régions.
La forme des lettres va évoluer différemment en Palestine et en Basse Mésopotamie, en Nabatène et en Arménie.

L\'araméen à l\'époque romaine

À partir du IIe siècle av. n. è., la désintégration de l\'Empire séleucide d\'Antioche va entraîner l\'apparition d\'un certain nombre de royaumes locaux qui vont essayer de mettre en valeur leurs traditions nationales et utiliser l\'araméen comme langue et écriture officielle. C\'est ainsi qu\'on voit apparaître plusieurs variantes de l\'écriture araméenne :

- Au sud, dans la région de Pétra, l\'écriture nabatéenne va être utilisée de 169 av. au IVe siècle apr. n. è. pour nombre d\'inscriptions monumentales, ainsi que sur les monnaies. Même la transformation du royaume nabatéen en province romaine en 106 de n. è. ne marquera pas la fin de l\'utilisation de cette écriture dont l\'évolution de la cursive donnera, plus tard, naissance à l\'écriture arabe.
En effet, le paradoxe de l\'araméen en Nabatène est qu\'il a été utilisé comme langue écrite d\'une population dont la langue vernaculaire devait être un dialecte nord-arabe.

- En Judée/Palestine, la dynastie hasmonéenne puis hérodienne conduit à un certain renouveau de la littérature hébraïque. Cependant la majorité de la population parlait araméen et la littérature araméenne de cette époque nous est, en partie, connue grâce à la grande découverte des manuscrits de Qoumrân et du désert de Juda, ces derniers constitués surtout de textes de la pratique - lettres, contrats, ostraca de comptabilité. Dans les deux premiers tiers du Ier siècle de notre ère, les inscriptions sur ossuaire de la région de Jérusalem nous révèlent le trilinguisme de ses habitants qui pouvaient utiliser l\'araméen, l\'hébreu ou le grec. D\'après quelques mots araméens conservés dans les évangiles, Jésus de Nazareth parlait habituellement en araméen. Le judéo-araméen se retrouvera un peu plus tard, dans le Talmud de Jérusalem, rédigé vers 425 de n. è., qui reflète apparemment surtout l\'araméen de Galilée.

- Dans le désert syrien, l\'oasis de Palmyre jouit alors d\'une très grande prospérité car il contrôle le commerce entre l\'Empire parthe et l\'Empire romain et réussit à maintenir une certaine autonomie par rapport à l\'Empire romain du Ier siècle av. au IIIe siècle apr. n. è. L\'araméen est la langue officielle de ce royaume et l\'on connaît aujourd\'hui environ 2 000 inscriptions palmyréniennes, en majorité des inscriptions monumentales et funéraires, au tracé quelque peu maniéré, accompagnant une statuaire remarquable par son réalisme et la précision de ses détails.

- Plus au nord, deux villes de Haute Mésopotamie, Édesse et Hatra, seront d\'importants centres économiques et politiques, qui feront rayonner la culture araméenne « orientale ». Édesse, actuelle Urfa dans le sud-est de la Turquie, était le centre d\'un petit royaume à la frontière de l\'Empire romain. La tradition scribale édesséenne donnera plus tard naissance à l\'écriture syriaque dont la littérature se développera surtout avec la diffusion du christianisme dans tout le Proche-Orient.

- Un peu plus à l\'est, environ 90 km au sud-sud-ouest de Mossoul au nord de l\'Irak, Hatra est un moment la capitale d\'un petit royaume à la frontière entre les Empires romain et parthe de l\'époque hellénistique au IIIe siècle de n. è. Le dynaste local portait le titre de « roi d\'Arabie » ou de « roi des Arabes » mais son royaume était limité et ses inscriptions en araméen, l\'écriture araméenne représentant une évolution de la cursive araméenne du début de l\'époque hellénistique. On a relevé environ quatre cents inscriptions sur pierre datant du Ier au IIIe siècle de n. è. On peut en rapprocher quelques dizaines d\'inscriptions trouvées à Assour, un peu plus au sud.

- Dans le sud de la Mésopotamie sous domination parthe, dans le Khouzistan iranien actuel, la principauté de Mésène (Characène) a développé une variante araméenne locale qui évoluera ultérieurement dans l\'écriture des Mandéens, secte religieuse combinant des traditions babyloniennes, perses, juives et chrétiennes, avec de nombreux textes magiques et une littérature particulière.

Le dynamisme de ces divers royaumes araméens va se heurter à l\'expansion des Empires romain et sassanide et l\'araméen reculer devant l\'expansion du pehlevi, du grec et du latin, bien avant les invasions arabes du VIIe siècle. L\'arabe ne remplacera alors l\'araméen que peu à peu comme langue parlée tandis que l\'araméen écrit se conservait dans l\'abondante littérature syriaque, ainsi que dans la littérature religieuse juive, samaritaine et mandéenne.

Sources Clio

Posté par Adriana Evangelizt

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